Interview n°1 du Dr Thierry Poitte : gestion des douleurs aiguës, chroniques et relation avec la physiothérapie
Mikan est venu interviewer le Dr Thierry Poitte dans sa clinique à La Flotte-en-Ré (17) pour aborder différents sujets autour de la douleur animale, de la médecine préventive et de la physiothérapie.
Découvrez la première de nos 3 interviews, abordant les sujets suivants :
- Le parcours du Dr Poitte et sa spécialisation sur la gestion de la douleur animale
- Qu’est-ce que la gestion de la douleur, quels sont les types de douleur ?
- En quoi la physiothérapie est-elle un atout pour la gestion de la douleur ?
Merci au Dr Thierry Poitte et à l'équipe de la clinique de La Flotte-en-Ré, pour le partage de son expertise, ainsi qu’aux dog et cat modèles à poils et leurs propriétaires qui ont permis de capturer ces images de soins.
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Pour lire l’interview, c’est dessous !
Comment vous êtes-vous orienté vers la gestion de la douleur et la physiothérapie au cours de votre parcours vétérinaire ?
Bonjour, je m'appelle Dr Thierry Poitte, je suis installé en tant que praticien sur l'île de Ré où on a une clinique à destination des soins pour les animaux de compagnie. J'ai une formation de vétérinaire qui a été dispensée à l'école vétérinaire de Toulouse et je suis resté comme assistant en chirurgie et j'ai passé ensuite un CES, un certificat d'études supérieures, en traumatologie et en chirurgie ostéo-articulaire.
Très vite, je me suis intéressé au sujet de la douleur et j'ai complété cette formation par un diplôme inter-universitaire à la fac de médecine de Rennes. Et ensuite j'ai essayé de transposer tout ce que j'ai appris au cours de ce DU et de l'appliquer à notre médecine vétérinaire.
Alors pourquoi cet intérêt autour de la gestion de la douleur ? Parce que la douleur, elle est inhérente à notre métier. C'est notre cœur de métier. Ça peut devenir notre coeur de compétences. Et la douleur, c'est la matière qui est la plus transdisciplinaire. C'est à dire que si vous faites de la médecine, vous faites du comportement ou faites de la cancérologie, vous faites de la chirurgie. Vous êtes toujours confrontés à la douleur, que cette douleur soit aiguë ou qu'elle devienne chronique.
Quels sont les 4 piliers de la gestion de la douleur ?
La gestion de la douleur doit reposer sur quatre piliers.
Le premier pilier, c'est comprendre les mécanismes de la douleur parce que ça va augmenter la pertinence des orientations thérapeutiques.
Le deuxième pilier, c’est évaluer la douleur. Et quand on parle d'évaluation, ce n'est pas uniquement l'intensité, mais c'est aussi la qualité de cette douleur, dans le but ;
Troisième pilier : de proposer un projet thérapeutique individualisé, multimodal ; ça veut dire qu'il doit s'intéresser à toutes les étapes du cheminement de la douleur, mais également pluridisciplinaire. Parce qu'il va falloir faire appel à des compétences variées de pharmacologie, de nutrition, de physiothérapie, d'ergothérapie, d'ostéopathie, etc.
Le quatrième pilier et cela vaut pour les douleurs chroniques, il faut absolument que l'ensemble de ce projet soit fondé sur l'alliance thérapeutique, c'est à dire sur une collaboration active avec le propriétaire qui devient un acteur de la prise en charge de la douleur.
Et cette fameuse alliance thérapeutique repose sur un accord entre le vétérinaire et le propriétaire, sur l'origine de la maladie, sur les mécanismes de la douleur, sur les objectifs, sur un projet thérapeutique qui doit être partagé, compris, accepté. Et enfin dans l'inscription de cet animal douloureux, dans un parcours de suivi. Parce que, par définition, une douleur chronique ne peut pas complètement guérir et va évoluer au cours du temps. Et donc il faut que le couple vétérinaire praticien et propriétaire s'adapte en permanence à l'évolution de la maladie douloureuse.
Quelles sont les particularités des douleurs aiguës et chroniques ?
Il est en effet indispensable de différencier une douleur aiguë d'une douleur chronique. Et effectivement, pendant de longues années, on a considéré que les douleurs chroniques étaient simplement des douleurs aiguës qui duraient dans le temps plus de trois mois ou plus de six mois.
On sait maintenant que les mécanismes physiopathologiques sont clairement différents et que dans les douleurs chroniques, vous perdez la linéarité entre l'importance de la stimulation et le ressenti douloureux en douleur chronique, le message est brouillé, il est déformé, il est distordu, il est amplifié de telle sorte que des stimulations non douloureuses peuvent devenir douloureuses, voire même insupportables.
Donc, vous comprenez que dans la mesure où ces mécanismes de physiopathologie sont radicalement différents et bien vous vous doutez que les moyens thérapeutiques à adopter sont également radicalement différents.
Aujourd’hui, la gestion de la douleur aiguë et chronique est-elle devenue une priorité pour le propriétaire et le vétérinaire ?
Alors, la prise en charge des douleurs aiguës et chroniques est devenue clairement une priorité de la part des propriétaires et c'est en relation avec la prise de conscience du bien-être animal. Mais c'est aussi de la part des praticiens, d'une façon très schématique et ça vaut pour la médecine humaine comme pour la médecine vétérinaire.
Tout être vivant qui souffre n'emprunte pas les chemins les plus rapides pour la guérison. Donc, au delà d'un côté éminemment éthique, je vous parlais tout à l'heure de cœur de métier, de la douleur, cœur de métier des vétérinaires. Au delà de ce côté éthique, et de toute façon, si vous voulez favoriser la guérison, il ne faut pas avoir des animaux qui souffrent parce que, à cette souffrance sont toujours associés des mécanismes physiopathologiques, délétères et qui viennent gêner la récupération de l'animal.
Du coup, qui peut être acteur contre la douleur chronique ?
Contre la douleur chronique, il y a plusieurs acteurs. Il y a évidemment le vétérinaire praticien, mais aussi l'ensemble de l'équipe vétérinaire avec notamment nos assistantes spécialisées vétérinaires qui sont un rouage incontournable dans l'accompagnement. Et puis, bien évidemment, il y a le propriétaire.
Ce propriétaire peut devenir un acteur incontournable à partir du moment où il est averti, à partir du moment où on lui a transmis à la fois des compétences évaluatives et quelques compétences de soins. Je pense notamment à des conseils de nutrition, des séances de massage, ou des modifications de l'environnement.
Si vous deviez faire un état des lieux du bien-être animal actuellement, quel serait-il ? Occupe-t-il une place plus importante ?
Oui, clairement, le bien être animal est devenu une préoccupation sociétale. Je pense que tous les vétérinaires maintenant voient de plus en plus de propriétaires soucieux de corriger le mal être associé aux douleurs chroniques. Nous avons de plus en plus dans nos cliniques et nos cabinets, des animaux vieillissants avec des pathologies dégénératives.
Vous savez comme moi qu'il y a un allongement considérable de la durée de vie et ça veut dire aussi une fréquence accrue de pathologies dégénératives. Donc oui, clairement, les propriétaires sont de plus en plus soucieux de corriger ce mal être. Et il est vrai aussi que, en face, les vétérinaires sont beaucoup plus armés qu'auparavant pour corriger ce mal être et répondre donc à leurs attentes.
Quel parallèle peut-on faire entre la médecine préventive, la gestion de la douleur et la physiothérapie ?
La physiothérapie doit s'envisager sous deux angles :
- Sous un angle thérapeutique où on est dans le cadre, donc une prise en charge, par exemple, d’un problème de rééducation fonctionnelle et ou d'un problème de douleur. Là, on a maintenant des méthodes manuelles, des méthodes instrumentales qui ont démontré une réelle efficacité dans la pratique quotidienne.
- Ensuite, et c'est assez novateur effectivement, on peut maintenant préconiser de la physiothérapie dans le cas d'une médecine préventive, alors c'est ce qu'on appelle la médecine préventive secondaire, qui concerne des animaux qui ont une maladie mais qui ne sont pas encore malades.
Donc, par exemple, un animal qui va avoir une arthrose radiologique. Et pour retarder l'apparition de l'arthrose clinique, on peut faire de la physiothérapie pour optimiser le renforcement musculaire, pour améliorer toutes les fonctions posturales, pour garder une bonne musculature, pour limiter l’ankylose qui va s'installer...
Et donc, effectivement, il y a un aspect curatif, complémentaire des moyens pharmacologiques et il y a un vrai champ d'exploration et d'application concernant cette médecine préventive secondaire qui s'adresse à un animal qui a une maladie mais qui n'est pas encore malade.
En quoi la physiothérapie est-elle un atout indéniable dans la prévention et la gestion de la douleur ?
Je pense que la physiothérapie dans le domaine de la douleur ne doit pas s'envisager de façon exclusive, mais toujours sur le plan complémentaire. On a en douleur chronique, pratiquement toujours besoin d'un peu de pharmacologie ou des récentes biothérapies. Par contre, la physiothérapie dans un projet global complémentaire est à mon sens devenu absolument incontournable et elle va transcender les résultats des traitements pharmacologiques des biothérapies.
Elle va rendre pérenne tous ces bons résultats et donc il y a une réelle efficacité synergique de l'ensemble de ces méthodes. Et c'est pour ça que nous préconisons vraiment dans les formations en physiothérapie, un volet prise en charge de la douleur parce qu'il y a des synergies que les vétérinaires doivent absolument exploiter dans leur pratique quotidienne.
Pensez-vous qu’il faille encore démystifier la physiothérapie auprès des vétérinaires, ASV et du grand public ?
Je ne crois pas qu'il faut la démystifier parce que la physiothérapie a maintenant ses lettres de noblesse et d'efficacité. Et pour être vraiment sur le terrain, je peux témoigner de l'engouement de nos confrères et de nos consœurs pour le développement de la physiothérapie alors que ce soit la physiothérapie au sein de leur établissement ; mais il y a de plus en plus de cliniques qui montent des centres de physiothérapie.
Où là, il s'agira de faire, certes de la rééducation fonctionnelle, mais aussi de préconiser davantage toutes ces thérapeutiques utiles à la prise en charge de la douleur chronique.
Comment le propriétaire perçoit-il le suivi en physiothérapie de son animal ?
Le propriétaire va voir assez rapidement, avec les séances de physiothérapie un retour à la mobilité. Donc, en fait, les objectifs : il y a deux objectifs majeurs de la physiothérapie dans la prise en charge de la douleur.
Le premier objectif, c'est favoriser le retour à la mobilité en diminuant les scores de douleur, d'inflammation, en améliorant la récupération fonctionnelle, la fonction musculaire, la fonction proprioceptive. Mais il y a aussi, et notamment par les séances de physiothérapie manuelles, un effet d’anxiolyse apporté par des séances quotidiennes où le propriétaire va retrouver une proximité avec son animal.
Et vous savez que les chiens fonctionnent beaucoup par des rituels et on va avoir donc un propriétaire plus proche, encore plus attentif de son animal. Et vous savez qu'entre le propriétaire et ses animaux, il y a des contagiosités émotionnelles qui là, va s'avérer extrêmement bénéfique pour la rémission des douleurs chroniques.
Est-ce important de se former régulièrement à différentes techniques et de mettre à jour ses connaissances avec l’avancée des technologies ?
Pour pratiquer correctement la physiothérapie, il faut effectivement se tenir à jour des dernières techniques, parce que tout ça évolue beaucoup. Il y a aussi des programmes et des procédures qui sont de mieux en mieux, dont les protocoles sont de plus en plus élaborés. Les vétérinaires physiothérapeutes ont besoin aussi de s'appuyer sur des preuves de médecine factuelle qui existent et qui paraissent régulièrement.
Et enfin, je vous le redis, il faut aussi que les physiothérapeutes fassent absolument le lien avec la douleur. Et donc, parallèlement à cela, il faut qu'ils améliorent leurs compétences dans la prise en charge de la douleur, c'est à dire compréhension des mécanismes, évaluation. Et toujours, ce projet pluridisciplinaire dont je vous parlais à l'instant.
Quelles méthodes de physiothérapie peuvent-être utilisées au quotidien ?
L'ensemble des méthodes de physiothérapie sont basées sur des éléments physiques. Donc, on peut utiliser le froid, la cryothérapie. On peut utiliser le chaud, la thermothérapie. Après, avec des indications bien précises et bien différenciées, on peut utiliser le mouvement, c'est le principe de la kinésithérapie.
Ensuite, on peut utiliser l'eau, on peut utiliser l'hydrothérapie. Et puis il y a des agents physiques et instrumentaux comme l'électricité avec l'électrostimulation, les ultrasons. Nous avons beaucoup travaillé ici dans la clinique de l'île de Ré, sur les ondes du proche Infrarouge. Avec la thérapie laser qui a montré des effets particulièrement bénéfiques sur les pathologies ostéo-articulaires arthrosiques associées à des contractures musculaires.
Et puis enfin, il y a d'autres d'autres thérapies basées sur les ondes magnétiques, qui sont également en plein développement. D'où la nécessité ; et c'était votre première question, de continuer à se former pour tenir à jour ses compétences.
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